Regarder naître le départ

Comme beaucoup de gens, je pense, je me sens souvent pris au piège. Que ce soit par les attentes de mes proches, par celles de la société, par mon compte en banque, par mes responsabilités, voire même parfois, par mon art.

Mais il m’est arrivé, par moments (aussi rares soient-ils), de me sentir libre.

“La liberté, c’est quoi ?” me direz-vous. Ne pas être enfermé·e. Pouvoir agir sans contrainte. Être indépendant·e. Et en même temps, n’a-t-on pas besoin de limites pour la ressentir véritablement ? Pour chacun·e, ce mot porte un sens différent. Personnellement, je ne suis pas certain de pouvoir réellement le définir. En revanche, je peux, avec certitude, vous écrire quand je l’ai ressenti, vécu, expérimenté.

Je me sens libre lorsque je peux crier, lorsque je peux m’échapper.

C’est le cas à chaque fois que je monte sur scène pour déclamer un slam : la première fois, en juin 2018, dans un petit bar associatif de Toulouse, comme deux ans plus tard, sur la scène du Bijou, pour la 14e édition du Prix d’Écriture Claude Nougaro.
Ce n’est pas seulement une question de prise de parole, c’est le cri. J’existe dans l’opportunité que j’ai, que je prends, qu’on me donne, sur scène, à exprimer ma colère, ma tristesse, mes angoisses.

Mais les mots, parfois, ne suffisent plus ; il leur arrive même de disparaître.

J’ai alors découvert une nouvelle forme de liberté : celle qui naît de la possibilité de fuir.

À l’automne 2022 – il y a très exactement un an, je partais en Irlande. Ce fut spontané. Un quasi coup de tête. J’ai ressenti, soudainement, le besoin de tout quitter. Pas pour découvrir un ailleurs, mais pour fuir une réalité. C’est donc ce que j’ai fait, sans me poser mille et une questions. J’ai pris les trois boules de poils qui partagent ma vie et, ensemble, nous avons sauté dans un ferry, sans aucun ticket de retour.

De l’angoisse, bien sûr, j’en avais. Mais l’anxiété, la peur, le doute, je les ai extériorisés par l’écriture. Cela m’a valu une sorte de petit journal de bord dont les textes ont été publiés sur mon blog et site d’auteur – comme une déclamation visuelle, sans voix, mais dont les mots résonnaient de la même manière.

De ce voyage, de mon amour du verbe, j’ai compris que je suis en sécurité uniquement lorsque je me sens libre. Lorsque je peux crier. Lorsque je peux m’échapper.
On parle souvent de l’expression de la colère comme quelque chose de négatif, et de la fuite comme un acte de pure lâcheté. Or, ça demande du courage de dire non, de taper du poing, de sortir d’une situation toxique. C’est même beau.

C’est ce que j’ai espéré retrouver en aménageant irys, Renault Master L3h3 de 2007 : créer un espace où gueuler ne signifie pas péter un câble, où l’échappatoire n’est pas uniquement synonyme d’abandon.

Et désormais, en voyant naître le départ, je la ressens pleinement, cette liberté. Comme une vague de chaleur qui me prend tout entier et me souffle : prends la route, et laisse ton cœur gronder.


mini bio :

Derrière Poetry Trip, on trouve Timothée Cueff, auteur et poète slameur aux envies d’aventures. Depuis 2023, il parcourt la France et l’Europe en quête de poésie, à bord de son van aménagé, irys.

Timothée Cueff

writing & slam poetry • currently living in Ireland

https://timotheecueff.com
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